56e SESSION SUR LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS DES PERSONNES MIGRANTES PAR LES ÉTATS DU MAGHREB, L’UNION EUROPÉENNE ET PLUSIEURS DE SES ÉTATS MEMBRES
Palerme, Festival Sabir, Cantieri Culturali alla Zisa, 23–25 octobre 2025
Collège des Juges :
Présidente : Sophie BESSIS
Membres : Chadia ARAB, Braulio MORO Amzat BOUKARI-YABARA, Wahid FERCHICHI
et Luca MASERA
Le Tribunal Permanent des Peuples (TPP), né suite à la Déclaration universelle des droits des peuples, Alger 1976, réuni à Palerme du 23 au 25 octobre 2025, dans la continuité de sa mission de conscience universelle,
Après avoir reçu et examiné l’acte d’accusation, présenté par 54 organisations, représentées par Le Forum Social Maghreb, le Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux (FTDES) et le Forum des Alternatives Maroc (FMAS), portant sur les violations des droits humains des personnes migrantes par les Etats du Maghreb, l’Union européenne et plusieurs de ses États membres ainsi que des organisations internationales,
Après avoir auditionné de nombreux témoins, avocats et experts, ayant respectivement subi, documenté ou assisté aux violations des droits humains des personnes migrantes par les Etats du Maghreb, l’Union européenne et plusieurs de ses États membres,
Et après délibération, déclare ce qui suit :
En se fondant sur :
– La Convention relative à l’esclavage (1926),
– la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948),
– la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951) et son protocole de 1967,
– la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1951),
– le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966),
-le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966),
– la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979),
– la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982),
– la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984),
– la Convention relative aux droits de l’enfant (1989),
– la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990),
– Le statut de la Cour pénale internationale (1998),
– La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2010),
– la Convention européenne des droits de l’homme (1950),
– La Convention de l’OUA sur les réfugiés (1969),
– la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981),
– La Charte des droits fondamentaux de l’UE (2000),
Convaincu de la gravité des faits relatés par l’acte d’accusation et confirmés par les différents témoignages, le Tribunal condamne les violations des droits humains des personnes migrantes et notamment :
– les atteintes graves au droit à la vie, à la liberté, à la sûreté et à la non-discrimination (articles 6, 7, 9 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques),
– la violation de l’interdiction absolue de la torture (article 3 de la Convention contre la torture),
– la pratique de la traite des personnes, en violation des dispositions de la Convention de 1951, pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui
– la violation du principe de non-refoulement (article 33 de la Convention de Genève),
– la violation des dispositions de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 1982, et notamment l’obligation de sauvetage,
– les exactions sexuelles,
– la militarisation croissante des frontières et l’usage systématique de la force,
– la prolifération de centres de transit et des lieux de détention, souvent en dehors de tout cadre légal, transformés en lieux de tortures, d’assassinat, de viols, et de disparitions;
– la criminalisation des personnes migrantes, poursuivies pour entrée ou séjour dits irréguliers, et privées de garanties procédurales,
– la violation des dispositions de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,
– la criminalisation de la solidarité, à travers des poursuites judiciaires ou des pressions administratives visant des associations, ONG, des avocats, des journalistes ou des citoyen·nes ayant porté assistance à des personnes migrantes, notamment lors de sauvetages en mer, d’hébergements d’urgence ou de conseils juridiques,
– la diffusion généralisée de discours racistes et xénophobes, y compris par certaines institutions ou personnalités officielles, alimentant la stigmatisation et la répression des personnes migrantes et notamment les femmes, les enfants et les personnes LGBTQI+,
– l’externalisation des frontières de l’Union européenne vers des pays tiers,
Convaincu aussi que certaines de ces violations peuvent être considérées comme des crimes contre l’humanité,
Le Tribunal constate :
– le caractère délibéré et systématique de ces violations. En effet, il s’agit de politiques et pratiques qui ne constituent ni des accidents isolés, ni de la simple négligence, mais relèvent d’une volonté politique structurée dont les effets sont tragiquement prévisibles : morts et disparitions en mer et dans le désert, détention et traitements inhumains, violences, extorsion, racisme institutionnalisé.
– L’importance de l’héritage historique esclavagiste des pays du Maghreb, où le racisme légitime les violations des droits des personnes migrantes noires ;
Le Tribunal tient pour responsables de ces violations :
Tous les Etats maghrébins (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Lybie), l’Union européenne et certains de ses Etats membres,
Le Tribunal, tout en reconnaissant l’existence de responsabilités individuelles, n’est pas en mesure de les établir. Il retient donc la responsabilité des Etats et des Organisations, des responsabilités communes mais différenciées.
Le Tribunal, suite entre autres, aux témoignages poignants, reconnait que les cinq Etats maghrébins se rendent coupables de pratiques systématiques d’arrestations arbitraires, d’expulsions collectives, de déplacements forcés et de déportations vers des zones désertiques ou des frontières militarisées, exposant sciemment des milliers de personnes à la traite, à la faim, à la soif, à la torture, à la mort ou à la disparition. Ils ont maintenu ou toléré l’existence de centres de détention illégaux, insalubres et inhumains où règnent la maltraitance, la violence sexuelle, la privation de liberté sans fondement légal et en l’absence de tout contrôle judiciaire.
Le Tribunal, attire l’attention, dans le cadre de l’établissement des différentes responsabilités sur la situation particulière de la Lybie. En effet, cet Etat connait depuis 2011 une absence de stabilité politique et sécuritaire et la prolifération de groupes armés et de milices qui ont fait du trafic et de l’exploitation des migrant.e.s une source de rente.
Le Tribunal retient la responsabilité de l’UE, de certains de ses Etats membres, de ses agences en particulier Frontex et ses prestataires de services. Il constate l’aggravation des violations, malgré les recommandations et signalements faits par ses précédentes sessions, concernant les violations des droits des personnes migrantes. Cette situation se reflète par la mise en œuvre de politiques d’externalisation de ses frontières et d’accords sécuritaires et financiers.
Devant cette situation grave et qui sacrifie annuellement la vie et la dignité humaine de milliers de personnes et notamment des personnes noires venant de l’Afrique subsaharienne,
– le Tribunal appelle les organisations et parties concernées à continuer à documenter les parcours des migrant.e.s, à tenter d’identifier les personnes disparues et à clarifier les mécanismes répressifs mis en œuvre dans le cadre de la coopération Maghreb-Europe, intermaghrébine et transnationale,
– Il appelle également à contribuer à présenter une image claire, transparente et réelle des violations, à remédier à leur invisibilisation, et à dépasser la dimension uniquement chiffrée des données.
– Le Tribunal retient la responsabilité directe ou indirecte des États et des organisations concernés dans les violations commises, y compris celles qui peuvent être considérées comme des crimes contre l’humanité.
– Le Tribunal incite les parties concernées à mener des actions à la fois contentieuses et politiques, ayant pour objectif la cessation des pratiques illégales et inhumaines, la reconnaissance des préjudices subis par les victimes, la réparation intégrale des dommages causés, la mise en cause des auteurs, instigateurs et bénéficiaires de ce système de violences.
Le Tribunal exprime sa reconnaissance envers les témoins et salue leur courage pour avoir rendu visible la réalité qui se cache souvent derrière des formules juridiques et des chiffres.
Fait à Palerme le 25 octobre 2025
